communiqué de presse

Anne Hidalgo inaugure la place des Tirailleurs sénégalais

Municipalité
Anne Hidalgo, Maire de Paris, a inauguré la place des Tirailleurs sénégalais le vendredi 10 mars 2023 dans le 18ème arrondissement, en présence, notamment, de l’un des derniers tirailleurs, M. Yoro Diao. Elle a annoncé à cette occasion une démarche mémorielle qui rendra hommage d’ici 2025, dans chacun des arrondissements parisiens qui le souhaitent, à des soldats d’Afrique, de l’Océan Indien ou d’Asie ayant combattu dans les armées françaises.
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Seul le prononcé fait foi

À la fin du film Tirailleurs, réalisé par Matthieu Vadepied, il y a des vers magnifiques sur la mémoire des tirailleurs que nous entendrons tout à l'heure. Je ne peux de me retenir de vous les souffler dès à présent :
« Je suis dans le sang qui coule dans tes veines.
Et dans les veines de tes enfants.
Et des enfants de tes enfants. »

Oui, nous sommes tous les enfants et les petits-enfants des tirailleurs sénégalais.

C'est la grandeur de la République que de reconnaître un lien fraternel et d'affirmer avec force toute notre reconnaissance à l'égard de tous les hommes et toutes les femmes qui ont combattu pour elle, quelles que soient leur origine ou leur couleur de peau.
Soyons-en fiers.

Ce matin, nous inaugurons une place qui portera désormais le nom de « Place des Tirailleurs sénégalais » et qui inscrira leur histoire dans celle de notre ville.

Mais il est bien sûr difficile de parler des tirailleurs sénégalais en général, comme un ensemble uniforme, tant leurs parcours individuels sont pluriels et différents.

Nous avons entendu certains itinéraires lus par les collégiens du collège Utrillo que je remercie chaleureusement.
− Bakary Diallo, le poète et écrivain, porte-parole des sans-voix,
− Georges Koudoukou, le Français libre distingué « Compagnon de la Libération » par le général de Gaulle,
− Charles N'Tchoréré, abattu d'un coup de pistolet par les nazis,
− Mamadou Addi Ba, le résistant au cœur du massif des Vosges,
− Ousmane Sembène, le cinéaste et le militant de la mémoire,
− Léopold Sédar Senghor, le ministre de la République française et premier président de la République du Sénégal.

Mais aussi Yoro Diao, qui êtes avec nous aujourd'hui. Je vous adresse mes remerciements les plus chaleureux pour votre magnifique témoignage, vous, le soldat héroïque des armées françaises qui s'est également battu pour la reconnaissance des droits de vos compagnons. Merci !

L'histoire des tirailleurs sénégalais commence en juillet 1857 avec la création du premier bataillon par décret impérial. Et cette histoire, indissociable de la colonisation, va concerner sur plus d'un siècle des centaines de milliers d'hommes, qui bien sûr ne sont pas tous sénégalais, mais qui sont tous noirs.

Qu'ont-ils en commun ? L'expérience de la guerre.
Une expérience aux côtés des soldats des autres colonies et des soldats européens.

Pour la plupart d'entre eux, ils ont traversé les deux grandes guerres mondiales.
Plus de 200 000 tirailleurs sénégalais ont été enrôlés pour la Grande Guerre et mobilisés sur les champs de bataille de la Somme, de Verdun, d'Afrique et des Dardanelles. De 1940 à 1945, ils ont été de tous les combats depuis la campagne de France jusqu'à la libération du pays.

De ces conflits mondiaux, ils ont connu des épisodes tragiques comme la guerre du Bani-Volta en 1915-1916 et le Chemin des Dames en 1917.

Ils ont aussi connu de glorieuses victoires : la reprise du fort de Douaumont en octobre 1916, la défense réussie de Reims au printemps 1918 ou encore celle de Bir-Hakeim en 1942.

La guerre, c'est l'expérience de la fraternité d'armes mais aussi de la peur qui traumatise, l'expérience du feu qui tue, de la mort, l'expérience du froid, de la perte des camarades et des amis et de l'oubli.
Ces soldats ont vécu « dans la solitude de la terre noire et de la mort » écrivait Léopold Sedar Senghor dans ce magnifique poème qu'il dédie à ses camarades tirailleurs.

Pour les tirailleurs, l'expérience de la guerre est éminemment singulière.

Plus encore que leurs homologues venus des autres colonies, les soldats noirs combattent en première ligne, dans l'infanterie. Ils doivent rompre le front adverse. Ce sont leurs régiments qui subissent les pertes les plus lourdes.

C'est ainsi que le 16 avril 1917, 15 000 tirailleurs sont lancés, toujours en première ligne, à l'assaut des crêtes du Chemin des Dames.

Le bilan est terrible : une dizaine de jours plus tard, les combats ont entraîné la mort de 30 000 soldats français dont 7 500 tirailleurs, soit près de la moitié des combattants africains.
La vaillance ne protège pas des balles.

Les tirailleurs ont aussi en partage une expérience fondamentale qui les distingue de leurs frères d'armes : l'expérience inhumaine de la contrainte, du déplacement forcé, de la séparation pour des années de leur famille, du mal du pays et de l'exil pour défendre un pays qu'ils ne connaissent pas.

Aujourd'hui, il est de notre devoir de rappeler les pages les plus dramatiques de notre histoire.
Elles se déroulent lors des recrutements forcés en 1915 et durant les massacres du printemps 1940 commis, notamment à Airaines, par les soldats nazis qui exécutent 1 500 à 3 000 prisonniers africains après les avoir séparés des prisonniers européens.

Je pense aussi aux heures sanglantes de décembre 1944 dans le camp de Thiaroye lorsque les autorités françaises exécutent des dizaines de tirailleurs qui réclamaient le versement de leur solde.

Un massacre d'une violence inouïe. Ne l'oublions jamais.

Ces évènements ne sont pas des accidents conjoncturels ou des faits malheureux de guerre.
Ils sont l'un des témoignages les plus criants de la violence du colonialisme et de la représentation avilissante de l'homme noir chez les Français et les Européens de l'époque.
Ils témoignent du racisme, évidemment.

« Quand il n'est pas réduit à la posture d'un guerrier inné, ignorant la peur, le tirailleur sénégalais se trouve rabaissé à sa condition de colonisé, systématiquement placé dans un rapport de soumission ». Voilà ce que nous explique l'historien Anthony Guyon.

Rappelons-nous comment des tirailleurs ont été contraints de participer à des expositions coloniales comme à Vincennes en 1931 pour assurer le rôle de figurants indigènes au sein de villages reconstitués.

Rappelons-nous aussi comment les Armées américaines ont imposé à la 2ème DB de ne faire combattre en France que des troupes blanches en excluant les soldats noirs qui avaient combattu partout ailleurs.

C'est aussi cela l'histoire des tirailleurs. C'est aussi notre histoire que nous devons regarder en face.

Les tirailleurs sénégalais n'étaient pas des soldats comme les autres. Ils ont donc droit à une reconnaissance particulière pour que leur sacrifice ne soit pas oublié.

C'est aussi le sens de cette cérémonie.

Officiellement, l'histoire des tirailleurs prend fin avec les décolonisations. À partir du moment où les pays africains gagnent leur indépendance, le corps n'a plus de raison d'être et s'éteint entre 1958 et 1962.

Mais cette histoire ne s'achève pas avec les décolonisations.

Viendra ensuite le combat pour la vérité historique, la reconnaissance mémorielle, l'égalité des droits.

Je pense bien sûr ici au scandale des pensions de retraite dont l'indexation a cessé le jour de l'indépendance des pays dont les tirailleurs étaient originaires.
Ce nouveau combat est relayé par des associations, des historiens et des politiques. Qu'ils en soient sincèrement remerciés.

Et si ce combat semble aboutir aujourd'hui, ce n'est pourtant pas très glorieux pour la France.
Il aura fallu attendre 2023, je dis bien 2023, pour que les 37 derniers anciens combattants tirailleurs puissent être aidés par la République dans leur grand âge et rentrer au pays s'ils le souhaitent.

Ce que j'aimerais dire ce matin, c'est que cette histoire des tirailleurs sénégalais ne sera jamais terminée.

Il n'y aura jamais de point final. Cette histoire coule dans nos veines. Elle doit continuer à être écrite par les historiens. Elle doit être racontée aux jeunes générations.

C'est une histoire de la France qui ne peut être tue.

Cette histoire doit intégrer et compléter notre grand récit national, encore si incomplet et trop souvent amnésique lorsqu'il s'agit de rendre hommage à des femmes et à des hommes d'origine étrangère.

C'est pourquoi cette inauguration n'est pas un aboutissement mais le point de départ d'une nouvelle mémoire pour faire rayonner le souvenir de ces femmes et de ces hommes partout dans Paris.

D'ici 2025, un hommage sera rendu dans chaque arrondissement de Paris aux combattants d'Afrique, de l'Océan indien et d'Asie. Avec leur nom, leur prénom, leur origine, leur parcours, leurs combats et leurs espoirs.

C'est déjà le cas dans le 14ème arrondissement avec Claude Mademba Sy, tirailleur sénégalais du régiment du Tchad de la colonne Leclerc qui a pu rentrer dans Paris avec la 2ème DB en août 1944. C'est également le cas dans le 16ème arrondissement avec le capitaine Do Huu Vi, premier aviateur originaire de Cochinchine mort sur le champ de bataille en 1916.

La mémoire est une matière vivante.

À nous de faire vivre tous ces « portraits de Français » pour reprendre les mots de de Pascal Blanchard. Faisons-les connaître. Ainsi seulement nous serons à la hauteur du devoir de mémoire.

Chers Tirailleurs, Paris, les Parisiennes et les Parisiens se souviendront de vous. Aujourd'hui, en leur nom et avec un immense respect et une immense gratitude, nous saluons votre mémoire.


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10 mars 2023

Anne Hidalgo inaugure la place des Tirailleurs sénégalais