Inauguration du quai Valéry Giscard d’Estaing : discours d’Anne Hidalgo

Seul le prononcé fait foi

C’était une proposition d’hommage à l’ancien président de la République que je vous avais faite, Madame, dès avril 2021, quelques mois après la disparition de votre époux. Et nous voilà aujourd’hui tous réunis sur le quai Valéry Giscard d’Estaing en cette belle matinée du mois de mai, journée symbolique de l’Europe.

Comme pour François Mitterrand et Jacques Chirac, Paris rend ainsi hommage à un ancien Président de la Vème République en attribuant son nom à un quai de la Seine, au cœur de notre capitale.

Le site choisi, en lien avec sa famille que je veux saluer très chaleureusement ce matin, convient à l’homme d’État mais aussi à l’homme épris des arts et de littérature, grand Académicien que fut Valéry Giscard d’Estaing.

Du quai Voltaire jusqu’à la rue de Solferino, le quai Valéry Giscard d’Estaing est un point d’observation incomparable pour admirer ces lieux emprunts d’Histoire qui lui sont à jamais liés et que vous avez rappelés : la coupole de l’Académie française, la passerelle Léopold Sedar Senghor, le Louvre, le musée d’Orsay, la caisse des dépôts, la statue de Jefferson.

Autant de symboles qui, à leur simple évocation, illustrent l’héritage de Valéry Giscard d’Estaing qui trouve ainsi sa place parmi ces grands penseurs.

Derrière chaque dénomination, c’est un message qui se transmet de génération à génération.

Du message que nous adresse Valéry Giscard d’Estaing, je retiens aujourd’hui la défense farouche de la paix en Europe, la liberté comme condition de la citoyenneté et la confiance dans l’avenir et dans l’être humain.

Et comment ne pas commencer par la paix en cette journée de l’Europe ?

Lorsque la guerre éclate, Valéry Giscard d’Estaing est élève au lycée Janson-de-Sailly et au lycée Louis-le-Grand. Il connaît alors l’Occupation et ces années sombres pour notre pays. A 18 ans, en août 1944, il participe à la Libération de Paris avant de s’engager dans l’armée française, sous les ordres du général Jean de Lattre de Tassigny. Après huit mois de campagne et vingt-huit jours au combat, en témoignage de son engagement pour son pays, il est décoré de la croix de guerre et défile devant le général de Gaulle le 14 juillet 1945.

Vivre ainsi la guerre dans sa chair laisse des traces.

Valéry Giscard d’Estaing en a tiré une certitude : la paix durable est indissociable de la construction de l’Europe. Cet engagement européen sera ainsi au cœur de son mandat lorsqu’il deviendra président de la République.

Avec Valéry Giscard d’Estaing, la France devient un acteur de premier plan de la construction européenne.

Il œuvre notamment pour l’installation du Conseil européen mais aussi pour l’élection du suffrage universel direct de l’Assemblée européenne qui nous permet depuis, en tant que citoyennes et citoyens européens, d’élire directement nos représentants au Parlement européen. Une révolution démocratique indispensable pour exercer pleinement notre citoyenneté européenne et faire corps avec le reste de la communauté européenne.

Européen convaincu, il poursuivra cet engagement même après la fin de son mandat en tant que député européen entre 1989 et 1993 et en tant que président de la Convention sur l’avenir de l’Europe.

Jeune adulte plongé dans la guerre devenu bâtisseur de la paix, Valéry Giscard d’Estaing aura permis à l’Europe de s’affirmer en renforçant son intégration politique, économique et monétaire.

Sur cette paix retrouvée, Valéry Giscard d’Estaing veut permettre à la France de renouer pleinement avec la liberté.

Il va ainsi chercher un modèle libéral qu’il appellera lui-même un « libéralisme avancé » qui ne serait pas une société ultralibérale, puisqu’il assurait que l’intervention de l’État constituait, je le cite : « non une menace pour la liberté, mais la vraie garantie de la liberté des plus faibles ».

Ce modèle était plutôt la volonté d’une société dans laquelle les contre-pouvoirs seraient nombreux et exigeants pour garantir la liberté de chacun.

Valéry Giscard d’Estaing était parfaitement lucide des risques de concentrations de pouvoir comme des rapports de force auxquels peut mener une certaine tentation absolutiste de la culture politique française. C’est dans cette perspective qu’il renforce pendant son mandat présidentiel les droits de l’opposition parlementaire. Il engage la libéralisation des médias avec la suppression de l’ORTF en 1974, soutient la création de la CNIL par la loi du 6 janvier 1978 et le libre accès des citoyennes et des citoyens aux documents administratifs. Il réforme le Conseil constitutionnel pour permettre à la représentation nationale de remettre en cause la constitutionnalité d’une loi.

Une grande étape pour notre démocratie dont nous mesurons, aujourd’hui encore, l’importance.

Valéry Giscard d’Estaing rendra aussi à Paris sa liberté en mettant fin à une anomalie démocratique de plus d’un siècle et en permettant enfin aux Parisiennes et aux Parisiens d’élire, dès 1977, leur maire comme dans toutes les communes de France. Une marche de Paris vers le droit commun des municipalités.

Valéry Giscard d’Estaing croyait profondément en l’émancipation par le savoir, seule voie véritable vers la liberté.

« Plus que tout autre, l'esprit français éprouve ce besoin de comprendre. Nos concitoyens veulent savoir selon quels principes ils sont gouvernés et vers quel avenir ils se dirigent ». Ce sont ces mots dans son livre Démocratie française paru en 1976.

Pour donner corps à cette émancipation tant attendue après des décennies d’une société corsetée et régie par des principes quelque peu dépassés, Valéry Giscard d’Estaing fait le choix de la confiance et propose des libertés nouvelles pour les jeunes et les femmes en particulier.

Dès les premiers jours de son mandat, Valéry Giscard ouvre le pays à une nouvelle modernité

Conforme à cette nouvelle époque, il fait confiance au progrès en lançant des lignes de train à grande vitesse qui révolutionnent nos manières de nous déplacer et en soutenant la création de l’Agence spatiale européenne.

Il offre à la jeunesse le droit d’avoir enfin confiance en elle en abaissant la majorité civile à 18 ans, sans doute une leçon des évènements de Mai 68.

Il marque aussi le début d’une nouvelle ère marquée par la progression, tant attendue et toujours fragile, des droits des femmes.

Nous lui devons la reconnaissance du viol comme crime avec la loi du 23 décembre 1980. Mais aussi le divorce par consentement mutuel, le remboursement de la pilule contraceptive par la sécurité sociale et, bien sûr, le droit à l’avortement au travers de la loi Veil.

En confiant à Françoise Giroud le Secrétariat d’État à la condition féminine, il a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes un combat central qui, aujourd’hui encore, est loin d’être terminé.

Au final, Valery Giscard d’Estaing c’était bien une certaine idée des Françaises et des Français, en citoyens libres et égaux, dans une Europe en paix.

Valery Giscard d’Estaing c’était une ambition à hauteur de femmes et d’hommes pour Paris, pour la France et pour l’Europe.

Avec le « Quai Valéry Giscard d’Estaing », les Parisiennes et les Parisiens comme les visiteurs venus de France ou d’ailleurs pourront se rappeler son action décisive pour Paris, notre pays et pour l’Europe dont la célébration ce jour doit nous rappeler qu’à son origine était la volonté farouche de bâtir un continent en paix.